Presque tous les enfants japonais connaissent le kendama, jouet traditionnel en bois composé d’un ‘ken’ (épée) et d’un ‘tama’ (boule) reliés par une ficelle. Le ken a trois coupes et une pointe sur laquelle le tama, percé, vient se loger. En prenant appui sur leurs genoux les joueurs de kendama font rebondir la boule pour la loger dans une des coupes ou sur la pointe. Somme toute, un principe assez simple. Plus maintenant.
Durant la dernière décennie le kendama a gagné en popularité en dehors du Japon, adopté par les communautés de skateurs dans les grands centres urbains d’Amérique du nord et d’Europe. Plus récemment le jeu a fait son retour au Japon sous une forme qui rappelle à peine ses origines.
« Autrefois les gens voyaient dans le kendama un jouet désuet. On se moquait de moi à l’école quand je jouais avec » se souvient Tamotsu Kubota, directeur du Réseau mondial de kendama (Global Kendamas Network), crée en 2012 pour promouvoir le jouet dans le monde. « Dès lors je songeais à changer l’image de ce jouet pour que d’autres personnes réalisent à quel point il est génial ».
C’est aux Etats-Unis aux alentours de 2006 que le kendama a commencé à susciter l’intérêt. Un de ses premiers fans fut Colin Sander, un cinéaste indépendant, après avoir visionné une vidéo de skieurs à Hokkaido jouant au kendama durant une tempête. « J’ai su tout de suite que cela éveillerait la curiosité et l’enthousiasme », Sander a contacté par mail le Japan Times. « Je ne pouvais pas me retenir et j’ai raconté à mes amis proches que j’avais fait une découverte formidable. Tous ont pensé que c’était délirant et hors du commun ». Sander s’est filmé lui-même jouant au kendama et a diffusé les vidéos sur youtube. Il fallut peu de temps pour que l’engouement prenne.
L’entreprise Kendama USA a été crée en 2008 et est rapidement devenue le leader de la vente de kendama en Amérique du Nord. D’autres fabricants sont apparus dont Sweets Kendamas et Kendama Co aux Etats-Unis, Krom Kendama à Copenhague ou Sunrise Kendama à Amsterdam. Ces sociétés emploient fréquemment des joueurs professionnels de kendama comme consultants pour promouvoir leurs produits. Sander par exemple, travaille en étroite collaboration avec Kendama USA.
« J’aime l’idée que le kendama peut ouvrir l’esprit à de nouvelles façons de penser » déclare Sander. « Que ce soit à d’autres sports ou juste dans la vie… la précision des mouvements requise pour manier le kendama augmente votre perception en général. Je pense qu’une grande partie du succès de ce jeu est due à son coté manuel quand bien même nous sommes dans l’ère du tout numérique. Les gens ont très bien répondu à la faible composante technologique du jeu ».
Des jouets similaires au kendama existent de part le monde mais on pense qu’il tire son inspiration du bilboquet français. D’après l’association japonaise de kendama, l’existence du bilboquet remonte au 16ème siècle et le roi Henri III en était un adepte. Il a ensuite voyagé jusqu’à Nagasaki à la fin du 18ème siècle, le seul port japonais ouvert au commerce extérieur à l’époque. Le président de l’association Yoshiki Matsunaga pense que le kendama était joué par des adultes éméchés avant d’être finalement utilisé comme jouet éducatif à la fin du 19ème siècle. En 1919 Egusa Hamaji de Hiroshima a déposé un brevet pour le kendama sous sa forme actuelle qu’il a nommé « nichigetsu moon ball » (la boule lunaire).
Au Japon le kendama se joue toujours dans une atmosphère calme. Matsunaga, 62 ans, a assisté à une compétition de style libre et intense de kendama à Shinjuku en septembre appelée ‘Catch and Flow’. L’atmosphère était électrique avec de la musique en fond sonore pour accompagner les mouvements fantasques sur scène. « Je dois admettre qu’il n’est pas facile pour les petits vieux comme moi de rester assis dans ce boucan durant trois heures » dit-il dans un rire. « Le kendama fait partie de la culture traditionnelle japonaise et c’est pourquoi nous avons le mot kendama-do, ‘la voie du kendama’. A nos compétitions nous demandons le silence pour que les compétiteurs puissent se concentrer ».
Créée en 1975, l’association japonaise de kendama s’implique depuis 40 ans dans la promotion de ce jouet. L’organisation a mis en place des règles unifiées et possède son propre système de classement. Les kendama utilisés lors de compétitions officielles ou de tests de classement doivent être approuvés par l’association. Matsunaga déclara qu’aucun kendama fabriqué par des usines étrangères n’a encore été agrée bien que quelques uns soient rentrés dans la catégorie ‘recommandés’. L’association encourage l’utilisation du kendama comme jouet éducatif pour les nourrissons et les enfants mais aussi pour les personnes âgées en maisons de retraite. Les membres organisent des cours dans tout le pays et se rendent dans des universités pour enseigner aux étudiants qui étudient des disciplines telles que la protection sociale ou la garde d’enfants.
Depuis plus de 25 ans, Matsunaga tient tous les samedis une classe de kendama à Hino (Tokyo). Rassemblés dans un établissement public, une vingtaine d’élèves de l’écolier jusqu’au retraité, se rassemblent pour maitriser les nombreuses techniques du kendama. Chaque classe débute par un salut et le silence prévaut pendant que les élèves s’entrainent et perfectionnent leurs mouvements. « Tout le monde peut pratiquer le kendama, des enfants comme des personnes âgées, et nous sommes fiers de cet échange intergénérationnel. J’aimerais vraiment que ce dojo perdure car de nos jours il y a peu d’opportunités de ce genre » déclare Matsunaga.
Matsunaga, joueur depuis plus de 30 ans, ajoute que l’association est également active dans la diffusion du kendama à l’étranger, organisant des tests de classement à Hawaï et d’autres endroits. « Faire connaître le kendama dans le monde est une de nos missions, et le récent essor de popularité nous y aide certainement » explique-t-il. « Dans le même temps cependant, les compétitions modernes ont un fonctionnement différent. Le kendama évolue, ce qui montre à quel point il est riche en possibilités ».
De nos jours le kendama s’est aussi taillé un chemin vers l’industrie de la mode.
Nobuaki Komoto, propriétaire de Decade, une boutique de vêtements pour skateurs et amateurs de BMX dans le district branché
de Harajuku à Tokyo, a commencé à vendre des kendama japonais et étrangers deux ans auparavant. « De nombreuses façons le kendama ressemble au BMX : la manière dont vous accordez vos gestes, le sentiment de fierté quand vous réussissez un mouvement ou le simple plaisir de se confronter à ses amis » analyse Komoto qui organise la compétition ‘Catch and Flow’ en septembre.
Des rangées de kendama colorés s’exposent dans sa boutique Decade. Certains sont d’origine japonaise mais la plupart ont été importés des Etats-Unis ou d’Europe. Le design de base des kendama importés est le même que ceux produits au Japon, approuvé par l’association japonaise de kendama. Cependant, les marques étrangères utilisent parfois du bois de noyer ou d’acajou au lieu du buna (hêtre japonais) pour l’épée et du merisier pour la boule alors que les motifs et les couleurs qu’arbore chaque jouet sont plus variés. Pour Komoto : « Les industriels étrangers respectent son origine japonaise, et leurs kendama qui étaient initialement des copies de ceux produits ici se diversifient et deviennent uniques ».
Ces jouets ont également conquis la scène artistique. Une exposition intitulée « Autour du monde – qu’est-ce que le Dama ? » a proposé à 75 artistes nationaux ou étrangers d’horizons divers (illustrateurs, concepteurs de kimono, graffeurs) d’interpréter le kendama à leur manière, le même modèle ayant été fourni à chacun. Le projet a abouti à une sélection dynamique de kendama de formes, de couleurs et de tailles variées. L’exposition s’est tenue à la galerie UltraSuperNew à Harajuku en septembre et à Osaka jusqu’au 15 novembre au digmeoutART&DINER.
« Le kendama traditionnel a fait un retour au Japon sous une forme complètement différente » résume Shimpei Kimura, producteur numérique de la galerie UltraSuperNew. « Les joueurs d’aujourd’hui ont une approche totalement nouvelle. Certaines personnes ne savent pas quoi en faire, alors nous avons posé la question ‘Qu’est-ce qu’un kendama ?’ et laissé les artistes s’exprimer ».
Etant donné la vitesse à laquelle le kendama conquiert le monde, Kubota du Réseau mondial de kendama pense qu’il s’agit de la dernière chance pour le Japon de prendre le train en marche pour éviter d’être laissé de coté. « Ce qu’il y a de bien avec le kendama c’est qu’il s’agit d’un objet que tout le monde peut apprécier, qu’importe son âge, son sexe ou sa nationalité » déclare Kubota. « Un défi de taille va être de s’assurer que cette diversité se maintienne au sein de la communauté, pour que subsistent différentes opinions, différentes manières de penser et la création de produits variés ».
Source : japantimes.co.jp
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