Les résidents de Kotobuki vivent non loin des boutiques de luxe et des restaurants huppés de Yokohama, ville jumelle de Tokyo, la capitale. Pourtant Kotobuki est un monde bien différent : un quartier sordide qui mène ses résidents à la misère.
Ces hommes, qui vivent dans des hôtels bons marchés, ont perdu leur travail et leur famille. Certains survivent grâce à des emplois occasionnels mais la plupart n’en ont pas du tout. Un abri de 250 lits surplombe le centre de Kotobuki, un parmi les 40 construits lors de la dernière décennie. Bien qu’ils aient sortis des rues 18 000 sans-abris, il fut d’abord difficile d’identifier la source de cette pauvreté grandissante.
L’an dernier, le gouvernement japonais a enregistré un taux de pauvreté à 16%, défini comme la part de la population vivant avec la moitié du revenu moyen national. C’est le plus haut record. Le niveau de pauvreté a augmenté de 1,3% par an depuis le milieu des années 1980. Sur cette même base, une étude de l’OCDE en 2011 a classé le Japon à la 28ème place sur les 34 pays les plus riches. Des librairies font même de la publicité sur leur nouveau best-seller qui expliquerait comment échapper au seuil de pauvreté, sous lequel vivent désormais des millions de japonais.
Le pays a longtemps pu être fier que son peuple ne tombe pas dans les fissures de la pauvreté. Ce Japon ordonné, sans le moindre bidonville. Le crime de rue, même à Kotobuki, y est infime. Le chômage est au-dessous des 4% et les emplois sont générés par le premier ministre, Shinzo Abe, qui tente de stimuler l’économie par l’assouplissement monétaire.
Pourtant, ces nouveaux emplois sont de mauvaise qualité, explique Kaori Katada, sociologue à l’Université Hosei de Tokyo. Depuis que M. Abe est entré en fonction, à la fin de l’année 2012, le nombre de travailleurs, souvent en CDD, gagnent moins de la moitié que leurs homologues à temps plein en CDI. Ce nombre a dépassé les 1,5 millions. Les salariés en CDD ou à temps partiel sont aujourd’hui 20 millions, ce qui représente presque 40% de la main-d’œuvre japonaise.
Les effets de ce changement pour un travail irrégulier n’ont pas toujours été visibles. Une des raisons est la bienveillance des parents. Des millions de jeunes ouvriers restent vivre à la maison familiale, pour être exemptés de loyer. Mais lorsque l’ancienne génération a produit le baby-boom de l’après-guerre au Japon, la pauvreté, alors sous-jacente, a fait surface.
M. Abe a poussé les entreprises riches en liquidités à embaucher davantage de personnes et d’offrir de meilleurs salaires, avec quelques succès. Ces dernières semaines, certaines des plus grandes entreprises ont annoncé des hausses de paie pour l’élite de leurs salariés. Mais le petit peuple est perdant, pendant que l’économie japonaise se remet. Les demandes d’emploi et d’aides sociales n’étaient encore qu’à 882 000 en 1995 mais sont montées fortement depuis. L’année dernière, elles ont dépassé les 2 millions pour la première fois.
Sous pression pour limiter l’énorme dette publique, qui équivaut a plus de deux fois et demi le PIB, une diminution des allocations a été décrétée par le gouvernement l’été dernier. Tom Bill, anthropologue et auteur de « La vie urbaine de Yokohama : La carrière précaire d’un travailleur japonais », explique que cela a amené davantage de personne dans une précarité officialisée.
Yokohama est une des nombreuses administrations locales dans le rouge. Les hommes qui s’entassent dans son foyer pour sans-abris ont désormais gagné de quoi vivre sur des chantiers ou des chaînes de production de voiture et payent des impôts locaux et nationaux. Aujourd’hui, la construction a repris de nouveau mais cette industrie est beaucoup plus petite qu’autrefois et les salaires sont inférieurs. Quelques hommes ont trouvé du travail mais la plupart des habitants de Kotobuki traînent encore ce fardeau.
Source : The Economist || Image : Shutterstock.com
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