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Actualité Japon
Affecté à la centrale nucléaire, ce héros ordinaire a vécu la catastrophe de mars 2011 et les mois dramatiques qui ont suivi. Deux ans après, il reste meurtri. Et en colère.
Plusieurs centaines d’anciens travailleurs de la centrale de Fukushima sont restés sur place, dans les jours qui ont suivi le séisme et le tsunami du 11 mars 2011, pour tenter de reprendre le contrôle.
Employés de la Compagnie d’électricité de Tokyo (Tepco) ou de ses multiples sous-traitants, ils ont vécu un enfer moderne – celui de la pire catastrophe nucléaire depuis Tchernobyl.
Beaucoup ont arrêté, parce qu’ils avaient atteint la limite légale de 100 millisieverts (mSv) de contamination radio-active. Une partie préfère oublier. Quelques-uns acceptent de parler, anonymement. Il ont parfois trouvé un nouvel emploi et craignent de le perdre.
Quand ils acceptent de rompre le silence, les « nettoyeurs » offrent un témoignage froid, sans concession. Un peu comme ces hivers de la région rurale de Fuku- shima, où la plupart ont vu le jour et où l’avenir dépend d’opérations de décontamination aussi onéreuses qu’inefficaces.
Cet avenir-là, X n’y croit même pas. « Dans cent ou deux cents ans, peut-être, on pourra y retourner. Dans le fond, je crois que ce lieu ne sera jamais sûr. »
Il a moins de 30 ans, s’exprime posément, avec précision et un peu de timidité. En ce mois de février 2013, il a quitté son emploi à la centrale il y a près d’un an.
C’est la première fois qu’il accepte de se confier à un journaliste. « J’ai fait une dépression, explique-t-il. Aujourd’hui, ça va mieux. J’ai envie de parler, pour que les gens comprennent. » Car ce vécu reste unique.
Un bon salaire et une confiance dans la technologie
« J’étais en congé le 11 mars 2011. Quand il y a eu le séisme, je me suis assuré que ma famille allait bien et j’ai filé à la centrale. »
Natif d’une ville voisine, il y travaillait depuis plusieurs années à un poste sensible, proche des réacteurs.
Formé et employé par Tepco, il touchait un bon salaire, appréciait son job et avait con-fiance dans la technologie. « Jamais nous n’avions envisagé une telle catastrophe. »
Quand il arrive sur place, ce jour-là, la première vague du tsunami vient de déferler. « Une deuxième était attendue. Je n’ai pas pu rejoindre mon poste. »
Il décrit une situation chaotique avec ses mots de technicien de l’atome. « Plus de 1 000 travailleurs s’entassaient dans le bâtiment du back-up (une salle de contrôle, à distance de la centrale). Impossible d’évacuer. Les haut-parleurs annonçaient le déclenchement des articles 10 et 15. »
Ces procédures émanent de l’Acte de 1999 sur les urgences nucléaires et détaillent les mesures à prendre en cas de dépassement des normes de pollution radioactive. Leur mise en application est le signe d’une situation particulièrement grave.
« Quand j’ai atteint mon poste, la radioactivité montait, montait… Je ne me souviens plus des chiffres, mais ils dépassaient largement les niveaux acceptables en temps normal. Et c’était avant les explosions. »
Commence alors la longue et fastidieuse lutte contre la perte de contrôle de 4 des 6 réacteurs, marquée par des explosions dans trois d’entre eux.
Un combat qui allait tenir le monde en haleine pendant de longues semaines et qui n’est aujourd’hui pas gagné : les installations, fragilisées, restent sous la menace d’un nouveau séisme.
« Une politique de gestion de crise minable »
X assiste ses aînés chargés de vérifier les soupapes de ventilation et d’évaluer les dégâts des explosions.
Comme les autres, il s’inquiète de la disparition de deux techniciens dans le tsunami, dont les corps seront retrouvés le 30 mars. Il ne sort pas…
« Au début, on mangeait des biscuits et des conserves stockés dans la salle de contrôle. Ensuite, avec la montée de la radioactivité, on nous l’a interdit. »
Il dormait quand le réacteur n° 1 a explosé, le 12 mars à 15 h 36.
« J’ai cru à un nouveau séisme. »
Les responsables de Tepco ont-ils envisagé d’abandonner totalement la centrale, comme la rumeur l’a affirmé ?
« Non, mais il y a eu l’idée d’évacuer les plus jeunes et de maintenir un minimum de gens. C’était impossible, de toute façon, en raison du manque de personnel.
Pendant des années, Tepco a réduit les coûts et fait baisser les effectifs. Là, on a vu les conséquences. »
X travaille sur place des mois durant. Il décide d’arrêter en décembre 2011, quand Tokyo annonce officiellement la fin de l’accident. « Je n’avais plus la force, plus d’envie. »
La politique de gestion de crise et le fonctionnement de la filière nucléaire ont été « minables », juge-t-il.
Les décideurs ne décidaient rien, ou pas grand-chose, et toujours trop tard.
Une bombe à retardement dans le corps
Se considère-t-il comme un héros ?
« Non, j’ai fait mon job. On a fait de notre mieux, mais la situation est la pire possible, avec toute cette contamination. Mon seul espoir est que ce “patrimoine négatif” serve de leçon. La technologie nucléaire ne doit pas être confiée à des incapables qui n’assument pas leurs responsabilités, comme c’est le cas maintenant. »
Aujourd’hui, X veut « tout reprendre à zéro ». Il n’a pas l’intention de retourner dans sa région natale et se félicite d’avoir échappé à la discrimination qui aurait frappé certains travailleurs « contaminés », notamment pour louer un appartement.
Il sait néanmoins que son corps porte en lui une bombe à retardement : la radioactivité accumulée au fil des semaines passées à la centrale. « On a relevé 50 mSv en contamination externe, 35 en contamination interne, soit 85 au total, explique-t-il.
Ce sont les données retenues par Tepco. Chaque fois que mon corps a été examiné, la compagnie a retenu les mesures les plus faibles : en fait, ils veulent retarder au maximum le moment où un travailleur atteint 100 mSv. »
Ces chiffres restent particulièrement élevés. La France, par exemple, limite l’exposition maximale annuelle à 1 mSv pour la population en général, et à 20 mSv pour les travailleurs du nucléaire.
« J’ai une carte d’ancien travailleur à la centrale de Fukushima, ajoute X. Elle me donne accès à des examens gratuits. Mais, si j’ai un cancer, aucune aide n’est prévue. Rien. »
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