-
par
Actualité Japon
Deux ans après la catastrophe du 11 mars 2011, Futoshi Toba, le maire de la commune durement frappée de Rikuzentakata, dans le nord-est du pays, critique la lenteur de la reconstruction.
Futoshi Toba était maire de Rikuzentakata depuis un mois quand le tsunami a englouti cette commune de 23 000 habitants le 11 mars 2011.
Cette commune rurale et maritime de la préfecture d’Iwate (nord-est du Japon) reste l’une des villes les plus frappées par la catastrophe.
Deux ans après, elle tente de se relever malgré un deuil qui a frappé presque toutes les familles de la région, à l’image du maire qui a perdu sa femme.
Engagée dans de colossaux travaux de nettoyage et de tris de débris, Rikuzentakata se débat pour entamer réellement la reconstruction de son centre-ville ravagé à 90% par la vague boueuse de 14,5 mètres.
Etiqueté «fauteur de trouble» et «grande gueule», Futoshi Toba critique la lenteur de la reconstruction.
Quelle est la situation aujourd’hui à Rikuzentakata ?
Nous avons trouvé 1 556 corps et nous continuons à chercher environ 217 personnes.
Tous les 11 de chaque mois, une nouvelle équipe est constituée pour poursuivre ces recherches sur les disparus. Malheureusement, nous n’avons pu retrouver qu’un seul corps l’année dernière.
Avant le désastre, nous étions juste sous la barre des 23 000 habitants, nous sommes en ce moment moins de 20 000 à vivre à Rikuzentakata, dont 5 000 dans des abris temporaires.
Les pêcheurs et les ostréiculteurs ont retrouvé une production équivalente à 60% par rapport à 2011.
Depuis sept mois, les eaux et le sous-sol marin ne sont plus contaminés par les radionucléides.
En ce qui concerne la reconstruction, nous n’en sommes qu’au tout début. Très peu, pour ne pas dire rien, n’a réellement été entrepris. C’est pourquoi nous voulons maintenant que les choses aillent vite afin que nos citoyens retrouvent l’espoir et voient concrètement que cette reconstruction a enfin démarré.
Qu’attendez-vous de la nouvelle majorité au pouvoir ?
De la rapidité. C’est ce qui nous a tant manqué avec la précédente administration qui s’est perdue dans des processus de décision trop lents et compliqués.
Le Parti démocrate du Japon a généré une énorme déception. L’équipe de Shinzo Abe [le Premier ministre depuis décembre dernier, ndlr] semble vouloir accélérer la reprise économique, la reconstruction, nous voulons en profiter tout de suite.
Deux ans après le tsunami, vous dites que «très peu, pour ne pas dire rien, n’a réellement été entrepris». Aucun chantier, même symbolique n’a démarré ?
Jusqu’à maintenant, nous nous sommes concentrés sur toute la procédure administrative à suivre pour lancer le chantier de la reconstruction.
Nous espérons vraiment que cette année marquera le début des travaux visibles.
Une procédure administrative qui dure deux ans…
Oui, hélas. Nous devons malheureusement travailler dans le cadre légal japonais qui nous a en effet pris deux ans.
Cette procédure a été précédée d’une phase de planification où tout devait être évalué, préparé et validé. C’est là que nous avons perdu beaucoup de temps et d’énergie.
Mis à part la rapidité, comment doit agir le nouveau gouvernement ?
Par exemple, l’argent nous a été attribué avec des recommandations, des stipulations précises.
Cette somme doit être dépensée selon des règles strictes qui fixent ce qu’on peut faire et ne pas faire. Mais cela nous entrave dans nos projets de reconstruction.
Ainsi, les fonds d’urgence qui nous ont été attribués par l’Etat [110 milliards de yens pour 2013-2014 (environ 880 millions d’euros), ndlr] ne peuvent pas être utilisés pour reconstruire le gymnase, la bibliothèque ou le musée de la ville détruits en 2011. C’est frustrant.
Les lois actuelles stipulent que les impôts municipaux seront utilisés pour rebâtir ce que les fonds gouvernementaux ne prennent pas en charge.
Mais nous sommes une petite commune rurale où les taxes locales, peu élevées, ne nous permettront jamais d’entreprendre de grands chantiers de reconstruction.
Nous n’avons pas arrêté de le dire au gouvernement. Donc, ce système doit maintenant changer.
La bureaucratie japonaise est en fait votre principal problème.
Ce n’est pas un problème uniquement japonais, mais ceux qui déterminent les politiques font ça depuis leur bureau à Tokyo.
Ils ne sont jamais venus nous voir, se rendre compte sur le terrain comment nous vivions, quels étaient nos besoins. Leurs projets sont peut-être séduisants sur le papier, mais ils ne correspondent pas à la réalité.
24 heures ne signifient rien pour un député, un politique à Tokyo. Pour un survivant du tsunami, c’est une éternité.
Je ne peux pas m’empêcher de penser que si la catastrophe avait frappé Osaka ou Tokyo, la reconstruction aurait été beaucoup plus rapide.
Quand les règles auront été abrogées, quels sont les chantiers qui pourront être lancés ?
Nous savons quels sont les édifices qui doivent être reconstruits et de quelle manière mais nous ne pouvons pas le faire tant que les règles n’ont pas été changées.
Pour compliquer le tout, il n’y pas une seule instance qui donne son approbation pour utiliser les fonds et lancer les travaux, mais une multitude d’entités. Pour tout ce qui relève de l’éducation ou de la culture, il faut s’adresser au ministère de l’Education, de la Culture et des Sports et dans le même temps au ministère des Finances qui verse les fonds.
Pour la seule construction d’une caserne de pompiers, d’un poste de police et d’un bloc de logements sociaux, il a fallu attendre quatorze mois pour le premier coup de pioche.
Le gouvernement a créé l’Agence de la reconstruction censée venir en aide aux communes sinistrées, mais elle a alourdi la charge de travail.
Nous devons non seulement frapper à la porte de chaque ministère mais, en plus, établir un rapport de nos activités à l’Agence. L’équipe Abe doit revoir ce système sinon la reconstruction continuera à prendre un temps fou.
Envisagez-vous de rebâtir une digue ?
Oui. Nous espérions qu’une digue de 12,5 mètres de hauteur serait construite cette année, mais en fait, cela prendra certainement trois ans.
Nous voulions une barrière de 15 mètres puisque le tsunami atteignait 14,5 mètres de hauteur à Rikuzentakata.
Nous avons élaboré un plan en le soumettant aux autorités qui ont rejeté notre projet et décidé arbitrairement que le mur ne dépasserait pas 11,5 mètres.
C’est finalement la préfecture qui a pris en charge ce projet en nous accordant un mètre supplémentaire au terme d’une longue discussion et d’énervements.
C’est une débâcle totale et pour nous beaucoup de temps perdu.
Vous devez vous identifier pour ajouter un commentaire Se connecter