Lancer le mot « poterie » a peu de chance de déclencher autant d’enthousiasme que « nouvel Iphone » ou « bière à volonté ». Mais avant de déserter cette page pour rechercher des articles sur Apple et/ou la dite la bière pourquoi ne pas laisser une chance à la poterie ?
C’est véritablement un sujet passionnant où vous partirez à la découverte d’une grande richesse de formes, de textures, de couleurs d’un art qui puise ses racines de l’Âge de Pierre jusqu’à nos jours.
Aucun pays n’a une admiration aussi profonde et répandue pour l’art de la poterie que le Japon. C’est essentiellement dû à la cérémonie du thé, une composante importante de l’identité japonaise.
Une grande valeur esthétique est accordée aux instruments nécessaires à cette cérémonie, donc si vous deviez être réincarné en tasse à thé, le Japon serait le pays parfait. Car les tasses à thé y sont des stars, oui parfaitement.
Pourquoi la poterie ça déchire
De façon générale, le mot poterie (c’est-à-dire la céramique) désigne tout objet fait d’argile cuite. C’est l’une des premières et plus importantes inventions de l’humanité qui a permis aux sociétés sédentaires de conserver de l’eau et de la nourriture et de se restaurer de manière plus organisée.
Les poteries sont fréquemment les rares vestiges survivants de civilisations anciennes. Et comme elles sont souvent peintes et/ou gravées elles nous donnent un aperçu des valeurs esthétiques des peuples disparus.
Les poteries ont survécu en abondance car leur structure est extrêmement solide. Bien que facilement cassable, les tessons, eux, résistent à la désagrégation durant plusieurs siècles permettant aux archéologues de les ré-assembler. Les peintures à leur surface sont tout aussi résistantes du moment qu’elles ont été appliquées avant la cuisson.
C’est assez ironique que la poterie malgré sa délicatesse se révèle être une des créations humaines les plus durables. Vous vous rappelez de la fable du chêne et du roseau ? Le chêne puissant a été déraciné par un vent violent alors que le roseau d’apparence fragile a seulement ployé et survécu à la tempête. Il en va de même avec la poterie qui a traversé les siècles sous forme de tessons alors que des peintures murales et des statues, elles, se sont écroulées.
Poterie, tu es jolie
Une frontière essentielle se dessine entre « les beaux-arts », créations d’œuvres purement esthétiques, et l’ « art appliqué », l’ajout d’une dimension artistique aux objets usuels. De nos jours la société reconnait l’importance de ces deux aspects dans la vie quotidienne. En plus des films et des émissions télé (deux formes d’art contemporaines), notre société moderne s’ébahit devant des voitures à la pointe de la technologie, des appareils dernier cri, des sites internet (particulièrement le nôtre bien sûr). Il en allait de même pour les civilisations anciennes, sauf qu’au lieu de coder en html elles créaient des poteries.
Enfin convaincus que la poterie c’est classe ? De toute manière je ne vois pas comment vous ne me seriez pas après cette comparaison avec le langage informatique. Donc maintenant que vous êtes tous devenus poterie-addict (désolé [P.S. en fait non]) il est temps de jeter un œil sur l’histoire de la poterie japonaise. Pas d’inquiétude, je ne vais pas vous torturer avec le détail de 37 périodes stylistiques, seulement avec 4.
Au commencement
Avant que la céramique japonaise ne devienne célèbre de part le monde et un artisanat reconnu, il lui a fallu du temps pour trouver sa voie. La poterie japonaise classique (plus tard définie par l’expression wabi-sabi) n’a pas atteint sa maturité avant le début du shogunat (1200-1870). Ainsi les millénaires conduisant à ce développement peuvent être regroupés sous l’appellation large de «première période ».
La plus ancienne poterie nous vient du peuple de chasseurs-collecteurs Jômon qui a vécu au Japon entre 10 500 et 300 avant notre ère. Le nom Jômon signifiant « motif cordé » dérive de la manière que ce peuple avait de décorer ses poteries avec des motifs linéaires (par application de cordes sur l’argile humide) probablement pour imiter des paniers tressés.
Les siècles qui suivirent la période Jômon voient l’avènement de l’agriculture (avec la culture du riz), le travail du métal (d’abord le bronze puis le fer) et finalement l’uniformisation de la civilisation japonaise. Les innovations viennent de Chine via la Corée. De tout temps, les jeunes civilisations ont été fortement influencées par leurs voisins plus avancés. L’histoire du Japon en est représentative, passant d’une phase d’absorption des influences extérieures à une phase d’indépendance dans laquelle les éléments importés se mélangent à la culture indigène. L’influence de la Chine et de la Corée est nettement visible dans les poteries japonaises, qui ont ressemblé pendant des siècles à celles créés sur le continent.
Par exemple, voici trois objets de Chine :
Et maintenant trois autres du Japon pré-shogunat :
L’ère Heian (794-1185) est la période la plus célèbre du Japon pré-shogunat, durant laquelle l’influence continental a atteint son apogée puis a commencé à décliner. A cette époque la volonté d’indépendance, d’une forme d’art spécifiquement japonaise voit le jour. L’âge d’or de la poterie approche.
L’âge classique
La céramique japonaise qui mûrit et s’épanouit dans les débuts du shogunat est guidée par l’esthétique du « wabi-sabi ». Cette approche, qui reflète les idéaux du bouddhisme Zen, privilégie la simplicité, le naturel, le vieillissement, l’irrégularité. Le wabi-sabi est à l’art japonais l’équivalent du classicisme grec en Occident.
Concrètement, qu’est-ce que cela signifie pour la poterie ? On parle de formes plates et irrégulières. On parle de fissures, de brûlures et de creux. On parle de couleurs disposées au petit bonheur la chance.
Ces effets sont le fruit de différentes techniques. Les récipients étaient modelés manuellement et non mis en forme avec précision sur un tour de potier. La cuisson se faisait à des températures relativement basses ce qui ne leur donnait pas le fini lisse et poli des céramiques cuites à hautes températures. Au lieu d’être refroidis progressivement, les objets étaient retirés du four et plongés dans de la paille ou de l’eau ce qui créait des déformations, des craquelures et des couleurs altérées.
Le produit fini, fruit de procédés naturels plutôt que de la précision de la main de l’homme, est l’incarnation du wabi-sabi.
L’âge d’or de la poterie est souvent daté du 16ème siècle, avec l’essor de la cérémonie du thé. La figure principale de son développement et de son raffinement, Sen Rikyû fut aussi déterminante dans la définition de l’esthétique wabi-sabi. Rikyû a supervisé le développement des bols à thé « raku » qui sont souvent considérés comme le summum de la céramique japonaise classique.
Les deux photos ci-dessous et ci-dessus sont des exemples de raku :
Les créations wabi-sabi, étaient à l’origine limitées à une apparence naturelle, dont les textures et les couleurs se formaient d’elles-mêmes. Puis quelques artistes ont expérimenté de nouveaux effets par intervention manuelle aboutissant à une sorte de « rendu naturel contrôlé ». Quelques artistes sont même allés plus loin en ajoutant des décors peints.
Couleurs vibrantes
Après des siècles de simplicité et de retenue, qui pourrait blâmer les potiers de vouloir ajouter un peu de couleur ? Ce fut le point névralgique de la poterie de l’ère Edo (17ème – 19ème siècle). Lisses, aux formes définies, les poteries ont été ornées de couleurs vives en général sur un fond blanc. Ce type de poterie a été rendu possible par la venue d’un four avancé originaire de Corée.
Cela dit, le style wabi-sabi n’a pas disparu. Il fut mis en sommeil pendant que les artistes s’essayaient aux céramiques polies et vivement colorées dont les continentaux avaient eu le monopole pendant si longtemps. Quelques céramiques wabi-sabi de l’ère Edo sont figurées ci-dessus.
Retour aux fondamentaux
La céramique japonaise moderne, tout comme l’art moderne de part le monde, combine de grandes variétés de styles anciens comme nouveaux. Pour autant le fil conducteur est la renaissance du style wabi-sabi. La figure principale de ce renouveau est Yanagi Sôetsu, un artiste du début du 20ème siècle qui a valorisé les céramiques simples typique de l’habitat japonais.
La photo ci-dessus représentant l’intérieur de la maison de Sôetsu, donne un aperçu de sa philosophie esthétique.
Naturellement la poterie japonaise a continué de s’enrichir à l’ère moderne. Kitaoji Rosanjin, autre artiste du début du 20ème siècle, en est surement le nom le plus célèbre. Ici, un bol richement décoré de style Rosanjin : https://www.flickr.com/photos/45873442@N04/5352852552/sizes/l
Pour finir
Alors, n’avais-je pas raison ? Ne trouvez-vous pas la poterie fascinante ?
Au Japon l’art de la poterie atteint des sommets. Au pays des délicats haikus et des sublimes peintures sur rouleau on se surprend des soins attentifs que reçoivent ces simples objets fonctionnels. Et pourtant c’est vrai.
Le respect accordé à un simple bol de thé reflète un profond regard éclairé. La vie est tellement plus agréable lorsque l’on prend le temps d’apprécier toutes les formes de beauté et de les intégrer à tous les aspects de notre vie. Et cela même lorsque nous sommes assis, au calme, pour juste déguster un thé.
Source : tofugu.com || Images : wikimédia
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